Dans quel métier voit-on tous les jours le soleil ?
Une interview des Grands méchants loups avec Kerstin Felser, pilote de l'Airbus A380 à la Lufthansa
Pourquoi pilote ?
Pourquoi vouliez-vous absolument devenir pilote ?
Quand j'étais petite, j'adorais les trainées blanches que les avions laissaient derrière eux dans le ciel. Je voulais toujours aller à l'aéroport de Francfort pour regarder les atterrissages et les décollages, et je me demandais comment quelque chose d'aussi lourd qu'un avion arrivait à s'élever. Et déjà là, j'ai su que je voulais faire partie de ce monde et devenir pilote.
Quelles qualités doit avoir un pilote ?
Il faut aimer la technique et pouvoir la comprendre, aimer voyager, pouvoir travailler à des heures irrégulières, le jour, la nuit, être responsable de beaucoup de passagers et d'un engin volant très coûteux, réfléchir rapidement et savoir prendre des décisions. On doit aussi savoir travailler en équipe et parler anglais. Et aimer la diversité parce que chaque jour est différent.
Les études
Vous trouviez que les études étaient difficiles ?
Pour se porter candidat à la Lufthansa, il faut avoir son bac. Mais le plus difficile, c'est le concours qui dure plusieurs jours. Maths, physique, compréhension technique, compétence sociale, à la communication... Quand on a réussi ces épreuves, la formation n'est plus si dure ensuite...
Étiez-vous la seule femme ?
Nous étions deux dans la classe. Les femmes sont toujours en grande minorité, 5% seulement sont pilotes. Je m'engage pour essayer de rendre le métier de pilote intéressant pour les jeunes filles.
Quelle est la différence entre une simulation de vol et un vrai vol ?
Il n'y en a presque pas. D'ailleurs nous avons appris dans un simulateur. Nous y allons quatre fois par an, pour tester si nous sommes capables de gérer les situations d'urgence.
Le travail
À quoi ressemble une de vos journées de travail ?
Avant le décollage, tout doit être planifié de manière exacte. Avec les collègues, nous discutons du plan de vol dans tous ses détails, recevons les données, regardons la météo et aussi le trajet. Nous décidons de celui qui sera aux commandes, de combien de carburant nous emportons. Ensuite nous rencontrons les hôtesses de l'air et les stewarts et nous les mettons au courant de nos décisions et attentes. Ensuite nous montons dans l'avion et un pilote fait les vérifications extérieures.
Combien de vols faites-vous par mois ?
En tant que pilote de longue distance je vole de trois à quatre fois par mois. Par exemple, pour aller à Singapour, nous partons le lundi soir. Avec le décalage horaire et la longue durée de vol, nous n'arrivons que le mardi après-midi. Ensuite, nous avons du temps libre jusqu'au retour le jeudi soir. Nous atterrissons le vendredi matin et ensuite nous avons quatre journées de libre.
Quand on est pilote, on connait le monde entier, non ?
Depuis douze ans je fais de la longue distance. J'ai été en Amérique de Sud, en Amérique du Nord, en Alaska, au Moyen-Orient, au Proche-Orient, en Afrique du Sud, en Afrique du Nord, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Russie, en Inde, au Pakistan... je trouve que cela fait aussi partie du charme de l'aviation d'apprendre à connaître de nouvelles cultures, d'entrer en contact avec les autochtones (les gens qui vivent là-bas).
L'Airbus A380
L'Airbus est le plus gros avion de transport de passagers au monde : c'est vous qui vouliez le piloter ou on vous l'a demandé ?
Je me suis proposée car je tenais absolument à le faire. Je me suis sentie un peu comme une pionière. L'A380 dépasse toutes les dimensions.
Quelle sensation a-t-on quand on pilote un si gros avion ?
C'est génial. Les pilotes aiment de toute façon l'avion qu'ils pilotent. L'A380 est très particulier. Mais j'aime autant piloter les petits que les grands avions.
Ça a l'air compliqué d'être aux commandes de tant d'ordinateurs !
On s'y fait. On commence avec de petits avions et on continue avec des avions toujours plus grands. D'abord sur de petites distances, ensuite sur de longues distances. Les boutons sont disposés de manière logique et on se repère facilement dans les commandes.
Êtes-vous consciente du fait qu'un avion pollue l'air ?
On a beaucoup travaillé sur les réacteurs et sur les avions en général ces dernières années. L'A380 consomme environ trois litres aux cent kilomètres par passager. En diminuant la consommation de kérosène, on réduit aussi la production de dioxyde de carbone (CO2). Cela doit être l'objectif des ingénieurs pour les vingt prochaines années car le trafic aérien s'intensifie de 5% par an en moyenne. Mais le combustible fossile est limité. Il faudrait accélérer la discussion au sujet du biocarburant.
Les femmes
Depuis quand les femmmes ont-elles le droit de piloter de si gros avions?
À la Lufthansa, les femmes pilotent depuis 25 ans environ. Maintenant, elles pilotent tous les avions. Tous les pilotes, homme ou femme, gagnent le même salaire et porte le même uniforme. On est égaux en tout et je trouve ça très bien.
Comment réagissent les passagers quand ils apprennent que c'est une femme aux commandes ?
Certains trouvent cela tout à fait normal ou pensent même que c'est super. D'autres sont plutôt étonnés. Ils lisent tranquillement leur journal et on leur dit que c'est une femme aux commandes... Donc ils arrêtent de lire et écoutent attentivement. Je n'ai jamais eu de réactions négatives.
La peur et le stress
De quoi avez-vous le plus peur : d'un accident ou des terroristes ?
Je n'ai pas peur. Quand on a peur, on n'est pas en état de piloter un avion. Mais je suis toujours fascinée par la technique et par un si grand avion, parce que j'ai la responsabilité de 526 passagers et d'un engin si cher. C'est pourquoi je suis toujours très bien préparée. Et nous faisons confiance aux techniciens qui ont préparé l'avion. Nous nous sommes si souvent entraînés dans le simulateur que, s'il devait se passer quelque chose, nous saurions comment nous poser.
Est-ce qu'il vous arrive parfois de penser qu'il puisse y avoir des terroristes à bord ?
Depuis les attentats du 11 septembre, le trafic aérien a complètement changé. Les contrôles de sécurité sont devenus très stricts, nous avons maintenant une porte blindée, sécurisée par un code, pour entrer dans le cockpit.
Que faites-vous contre le stress ?
Je fais beaucoup de sport. Ça compense une activité assise. Le métier de pilote est vraiment très fatigant. Il faut vivre tous les jours avec le décalage horaire, piloter toute la nuit, ne pas dormir, donc je me maintiens en forme avec une bonne alimentation et en faisant du sport.
Les nuits
Ce n'est pas fatigant de rester toute la nuit aux commandes ?
Nous parcourons les longues distances à trois. Pour douze heures de vol, chacun a droit à quatre heures de repos. Derrière le cockpitil y a une cabine avec une couchette. Comme ça, il y a toujours deux pilotes bien reposés aux commandes.
Y a-t-il beaucoup de bruit dans le cockpit?
Non, absolument pas.
Mais on ne voit rien quand il fait nuit !
Nous sommes aidés par des instruments, un GPS. Nous n'avons pas besoin de regarder à l'extérieur, nous pouvons aussi piloter à l'aveugle par mauvais temps, et atterrir grâce aux instruments.
Préférez-vous piloter le jour ou la nuit ?
Quand le temps est clair. Si l'on décolle de Berlin par temps de pluie, on traverse la couche de nuages et on voit le soleil. C'est ça le bon côté de mon métier, on voit le soleil tous les jours. Dans quel autre métier y a-t-il cela ? De s'envoler vers un lever ou un coucher de soleil. Mais la nuit il y a aussi de bons moments.
Divers
Avez-vous déjà transporté des personnes importantes, et est-ce que ça rend nerveux ?
Oui, des gens qui me sont importants, comme mes parents par exemple. Des gens célèbres comme des footballeurs, oui, mais pour nous, chaque passager est important.
Est-ce qu'on vous sert un autre repas que celui qui est servi aux passagers ?
Dans certains aéroports, on peut commander un repas particulier, mais sinon on nous sert le même repas qu'aux passagers.
Dormez-vous gratuitement dans les hôtels ?
Oui. Tout est organisé. Un bus vient nous chercher à l'aéroport et nous emmène à l'hôtel. Puis il nous ramène à l'aéroport au retour.
Est-ce que c'est difficile d'avoir une famille quand on exerce un tel métier ?
Non. Je suis peut-être absente trois ou quatre jours, mais après je suis plusieurs jours d'affilée à la maison. On peut aussi être pilote à temps partiel. C'est tout à fait possible.
Qu'est-ce que vous aimez dans l'aviation ?
La technique. Quand je roule sur la piste de décollage, que je mets les gaz et que je ressens l'accélération, les réacteurs qui montent en puissance, comment on se soulève et on se dirige vers une ville inconnue, la beauté d'un atterrissage réussi...
Prenez-vous l'avion pour partir en vacances ?
Je pars en vacances autrement. Par exemple, cet été, avec mon père, on est allés de Munich à Venise, avec un sac à dos. 700 km les pieds sur terre. C'est ma façon d'équilibrer. Ne pas prendre l'avion pour aller à l'étranger, mais me déplacer à la vitesse de la marche.
Ici, tu pourras en apprendre plus sur Airbus :
Le reportage du Grand méchant loup sur Airbus >>>
L'interview du Grand méchant loup avec le chef du personnel d'Airbus Hambourg >>>
Interview : Alica, Alice, Clara, Chloé, Emmanuelle, Ulysse & Zoë
Dessins : Chloé, Emil, Emmanuelle & Zoë
Texte et photos © Grand méchant loup | Böser Wolf
Décembre 2011